Border, un film réalisé par Ali Abbasi
avec Eva Melander, Eero Milanoff, Jörgen Thorsson
Prix "Un Certain Regard" au dernier festival de Cannes
La critique de Christelle
Avec Border, le scenariste Ali Abbasi nous propose une histoire captivante et hors du commun qui nous transporte hors des sentiers battus du film de genre. Son film s’inspire d’une nouvelle de John Ajvide Lindqvist, auteur suédois qui s’encre de la littérature réaliste suédoise.
Dans le film « Border » on retrouve ce parti pris réaliste dans les choix esthétique du film : maquillage, dialogues, jeu d’acteur, image. Mais le film « Border » nous propose une narration entre réalisme, fantastique, histoire d’amour, drame et engagement socio-politique. Ce film transcende ainsi tous les genres du cinéma pour s’en affranchir et proposer au spectateur d’être transporté dans un univers au plus proche du réel mais qui réveille en nous nos fantasmes d’enfants où l’homme cohabiterait avec les fées, les ogres et autres créatures fantastiques.
Dans ce film, et du propre aveu d’Ali Abbassi, l’histoire n’est qu’un prétexte pour nous proposer de nous interroger sur des questions de société.
Quel est la part de bestialité sauvage qu’il y a en nous ? Qu’est ce que l’humanité ? Ne sommes nous pas finalement que des bêtes civilisées ? Qui sommes nous vraiment ? D’où vient notre identité ? Sommes nous ce que l’on a fait de nous, ce que l’on a décidé où notre identité appartient encore à quelque chose de plus profond ancré en nous et transmis génétiquement ? Nature ou culture ? Est-ce cette identité qui nous fait appartenir à un groupe ? Où est-ce le groupe qui nous reconnaît comme paire quelque soit notre identité ? Est-il possible de cohabiter entre groupes malgré nos différences ? Y a t’il de la légitimité dans les violences d’ordre communautaire ?
L’histoire est celle du Tina, douanière atteinte d’une malformation génétique qui la rends hideuse. Tina a un sens hors du commun pour repérer le mensonge, la honte, la culpabilité, la peur, l’angoisse des autres. Très vite elle rencontre, Vore, étrange personnage qui inspire le dégoût, le vice et qui pourtant l’attire inexorablement. Mais Vore met son don en déroute. Qui est t’il vraiment ? Qu'est-il ?
Eva Melander et Eero Milonof qui incarnent Tina et Vore portent des masques de silicones pour jouer leurs personnage. Malgré la difficulté du jeu d’acteur avec un tel maquillage, ils nous proposent une remarquable interprétation des personnages, avec de nombreuses expressions, des plus franches au plus subtiles.
Les deux personnages : tina et Vore sont donc rebutants. La façon dont ils sont présenté, leur apparence laide et difforme, leurs expressions faciales et leur comportement bestial, nous retranche dans nos instinct primaire à ressentir du dégoût, de la méfiance à leur encontre.
Pourtant c’est contre toute logique, en dehors de son aspect on ne connaît au début rien de Vore tandis que Tina est bien insérée socialement, appréciée dans son travail, en couple, attentive envers son vieux père.
L’intrigue policière parallèle à l’histoire d’amour de Tina et Vore va retourner ce dégoût contre le spectateur lui même en révélant notre propre bestialité et nous dégoûte de notre hypothétique humanité. Par une série d’analogies on en vient à ce demandé qui de Tina, Vore ou nous est le plus civilisé, voir à être dégoûté de la nature humaine .
Mais alors si ce n’est pas d’être civilisé qui nous identifie en tant qu’être humain, qui sommes nous au fond ? Des bêtes ? Tina n’a de cesse de répéter « Qui suis-je ? ». Dans cette recherche d’une identité authentique on la voit partir en quête de cette identité propre, ballottée entre l’envie d’être ce que l’on attends d’elle et sa nature profonde. Elle se posera des questions sur la légitimité des valeurs de son éducation, de la culture de ceux qui l’entoure et enfin elle sera tirailler de s’affranchir de tout cela pour trouver une identité au plus proche de sa nature.
Dans le film Tina et Vore inspire du dégoût et de la peur à ceux qui les entourent, on les perçoit comme des erreurs de la nature. Les choix de mise en scène, de jeu d’acteur et d’esthétique des personnages fait partager ce sentiment au spectateur Et nous confronte à l’inavouable, nos préjugés. Ce n’est pas sans nous rappeler les principes de la xénophobie et du racisme. C’est d’autant plus culpabilisant que le spectateur s’identifie à ceux qui dans le film les jugent et les rejettent. La fin du film nous confronte à la violence de ces conflits communautaire en nous interrogeant : Vaut-on vraiment mieux ?
La grande puissance de ce film ne réside ni dans son histoire ni dans les thèmes abordés mais dans le réalisme qui s’imbrique à des éléments fantastiques qui par série d’analogies, comme des miroirs font regarder la nature humaine et les rapports sociaux autrement. Comme Tina on se demande « Qui suis-je » Suis-je vraiment humain ? De quoi ma nature me rend elle capable ?
Ce film est une grande surprise, on en sort chamboulé et certainement pas indemne.
La bande annonce : sur youtube
En salle le 9 janvier 2019.
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